Révélations au crayon papier, Bic et feutre sur nécrologies, 200 dessins de Txuspo Poyo
RÉVÉLATIONS AU CRAYON PAPIER, BIC ET FEUTRE SUR NÉCROLOGIES, 200 DE DESSINS DE TXUSPO POYO
Révélations au crayon papier, Bic et feutre sur nécrologies, 200 dessins de Txuspo Poyo
Il est toujours intéressant d’observer qu’on a des modèles, des personnes hors du commun auxquelles on s’identi e, qu’on admire et dont on ignore souvent les trajectoires de vie. Les an- nonces mortuaires sont là pour nous rappeler ces personnalités à notre bon souvenir et peut- être aussi pour les accompagner encore un peu en pensée, d’autant plus si on a eu l’impression d’avoir partagé un petit quelque chose d’eux de leur vivant. Une fois l’avis post mortem lu, on se rend compte de la vie qu’ils ont menée et ce qu’ils ont apporté à leurs contemporains pour qu’ils fassent autant objet d’attention dans des quotidiens sélectionnés par l ́artiste comme El Pais, l’ ABC, El Correo, le New York Times, le New York Post, Libération et aussi dans des journaux allemands. Dans ce contexte, et parce ce que les vies de certaines personnalités sont inimaginables, je comprends que l’artiste ait choisit d ́intervenir sur les nécrologies de Stefan Hessel ou de Claude Lévi-Strauss qui nous a appris entre autre que « la substance du mythe, ne se trouve ni dans le style, ni dans le mode de narration, ni dans la syntaxe, mais dans l’histoire qui y est racontée » .*
Dans ce sens, la nécrologie propose aussi une certaine ction personni ée qui souvent est celle que l’on veut bien transmettre au commun des mortels, mais qui est souvent aussi la plus lisse, voir la plus glamour. Rarement, mais cela arrive, ces articles frisent l’effet d’annonce et ir- tent avec un certain voyeurisme.
Une fois ces personnes entrées dans un autre monde, elles sont passées au crible, on a droit à des faits qui paraissent pour les uns des repères biographiques, tandis que pour d’autre cela signi e surtout la perte d’un être cher, dont on met la vie privée au grand jour.
Txuspo Poyo laisse libre court à son imagi- naire en s’inspirant directement de ce que ces vies lui révèlent dans le contexte particulier où il est lu par des milliers de personnes simultané- ment. Mais en fait, qu’est ce qui nous pousse à savoir au-delà de l’exploit, qu’a fait Neil Amstrong pour avoir été le premier homme à marcher sur la lune ? Qu’est-ce que cela implique d’avoir été une des plus grande romancière de notre temps comme Doris Lessing ou encore l’architecte qui aura durant un siècle entier traversé le communisme au sein du libéralisme, comme Oscar Niemeyer ? L’artiste a soigneusement cavi- ardé les articles sélectionnés et laisse sur cha- cun d’entre eux quelque chose de signi catif de la personne défunte, un visage, une construction. Ici, des lignes se superposent et s’entrecroisent sur l’article de la lauréate du prix Nobel de littéra- ture de 2007. Là, est laissé à l’évidence la Cathé- drale de Brasilia, super structure hyperboloïde, qui se dresse comme une sorte de couronne ren- versée. Les spectres de la photographie formés par la lumière sur la nécrologie d’Alan Sekula sont magni quement renvoyés au médium qui l’a guidé toute sa vie.
La vie de Sigmar Polke n’est pas forcé- ment plus intéressante que celle de Louise Bourgeois, ce n’est pas cela qui nous importe dans le travail réalisé ici par Txuspo Poyo, mais bien ce que la personne a transmit dans sa vie et qui permet encore aujourd’hui de faire en sorte que des mondes qui ne se connaissaient pas puissent se rencontrer dans des temporali- tés différentes. Sigmar Polke a réalisé son tra- vail dans le contexte de l’après-guerre, tandis que Louise Bourgois a couvert presque un siècle d’une longue vie commencée en 1911, terminée en 2010. L’un parle du rapport à l’autorité, de la notion d’erreur et de transformation tandis que l’autre porte sur les drames familiaux et la relation avec laquelle on les vit ou les subit. Logiquement, l’artiste a travaillé sur la page de la nécrologie de Louise Bourgois en représentant un enchevêtre- ment d’échelles qui se croisent et se rejoignent. Impossibles à grimper, elles semblent à chaque fois nous renvoyer en arrière, vers le père, peut- être ? La page de Sigmar Polke représente une certaine subversion, comme pour barricader l’article, le masquer, comme si rien n’est jamais vrai ni faux dans ce type d’écriture.
Dans le même état d’esprit, la customi- sation réalisée par l’artiste sur la nécrologie de Nelson Mandela, est archi rhizomique. Les liens, comme des cordes l’enferment, ligotent son visage monumental, déjà momi é avant de l’être pour toujours. Il incarne l’homme de la résistance et de la vision par excellence, ses yeux sont tou- jours là et nous regardent encore.
Ces nécrologies réunies ici se déroulent comme autant d’histoires en devenir, les nôtres aussi si on lit au travers des lets et strates que propose l’artiste.
Cécile Bourne-Farrell, Londres, le 30 décembre 2014